Elle est arrivée via un SMS le mercredi 15 septembre 2021 : « (…) Notre ami commun Meghraoui Abdellatif est décédé hier (…) ». Ce SMS, c’est Mohamed, un autre ami, qui me l’a envoyé. Entre nous, c’était « l’Abdou », Abdellatif c’était pour l’administration.
Je crois bien que c’est la première fois qu’on m’annonce la mort de quelqu’un que j’ai connu et avec qui j’ai entretenu des relations amicales. Il y en a sans doute eu d’autres, avant, mais ils se sont évaporés dans les dédales de la vie ou peut être de ma mémoire.
En tous les cas, cette nouvelle a fait remonter bien des moments, bien des souvenirs. Des bons, des moins bons, voire même des vraiment pas bons aussi, qui étaient souvent liés à nos situations personnelles, à nos incompatibilités d’humeur avec la planète parfois, mais tellement similaires dans leur nature, même si elles étaient différentes. C’est sans doute ce qui a fondé nos relations quelque part.
Et puis, il y a aussi des choses qui font que d’où qu’on soit, d’où qu’on vienne, quelles que soient les raisons pour lesquelles on est là où on en est, on se retrouve en lien avec des gens qui font qu’on ne désespère pas de l’humanité.
Il y a des choses qui restent gravées, au moins pour le temps de notre propre existence.Je repense notamment à un moment où les choses n’étaient pas au beau fixe dans ma vie, où il y avait du moins bien : il est venu, pendant un temps, tous les jours en fin de journée me faire une visite pour me remonter le moral. On ne peut pas passer aux oubliettes de la mémoire ces choses-là.
Je crois qu’il n’y avait pas de méchanceté en lui, cela ne veut pas dire qu’il n’a blessé personne ou qu’il n’a jamais fait de mal, mais ce n’était pas par vice. Il y avait là comme une sorte d’insouciance, parfois d’inconséquence ou en tous les cas, c’est comme cela qu’on le pensait. En fait, je crois bien que je ne l’ai pratiquement jamais entendu dire du mal de quelqu’un. Il y avait chez lui un mixte de pudeur et de décence, qui manque parfois tellement à d’autres. Il est toujours aussi resté évanescent quant aux questions, sur le fait d’être resté en France, de ne pas retourner, si bien qu’au bout de deux ou trois fois, j’ai fini par respecter cette posture, ce choix, en passant à autre chose. Et comme il avait des connaissances, de la culture, on pouvait élever le débat avec lui et puis à un moment il pouvait aller faire une belotte de comptoir… Il avait une sorte de sagesse avant l’heure canonique pour la sagesse, mais à condition de ne pas exempter la sagesse de quelques dérives, de quelques erreurs. La sagesse, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’excluant pas de faire des bêtises…
L’élastique de nos relations s’est distendu, on a pris des routes, des chemins qui nous ont éloignés. J’ai pensé à lui un peu plus, le jour où lors d’un de mes voyages au Maroc, je me suis retrouvé, par hasard, à Sefrou, la ville « où on cultive aussi des mirabelles, comme en Lorraine » disait-il. Je l’ai recroisé quelque fois, Mohamed me donnait quelques nouvelles, dont le fait qu’ils soient devenus beaux-frères. Mais à chaque fois, même si la distance du fil de nos relations avait augmenté, il n’était pas cassé, la résonance en sympathie était toujours là, nous étions toujours sur la même longueur d’onde.
Aujourd’hui, 17 septembre 2021, en triant quelques photos, j’en ai retenu une. C’est une photo prise au crépuscule et même si elle est relativement récente, elle reflète bien le fait qu’il y a une trentaine d’année, nous étions plutôt des oiseaux nocturnes. Le ciel couvert et sombre reflète bien mes sentiments à l’annonce de la mauvaise nouvelle, même si au fond, ce sont les meilleurs moments qui restent à la surface de ma mémoire. La ville en arrière-plan, c’est Metz, il n’y est pas né au sens administratif du terme, mais c’était un de ses lieux où on peut naître une nouvelle fois dans la vie, en dehors de la matrice originelle.
L’Abdou, c’était aussi, un vrai messin…